Appelez nous : +212 (0)537-770-332

Focus – La route Atlantique de la migration vers l’Espagne : sauvetages, tragédie et coopération du Maroc

27.02.2022  Focus – La route Atlantique de la migration vers l’Espagne : sauvetages, tragédie et coopération du Maroc

Au moins cinq personnes ont perdu la vie en tentant d’atteindre les îles Canaries au cours des dernières semaines. L’activité de sauvetage se poursuit avec l’arrivée de plus de 470 personnes en février.

 

Le Maroc continue de jouer un rôle clé dans la gestion des frontières espagnoles et européennes malgré les craintes d’un manque de respect pour les droits des réfugiés. Un juge de Sebta a décidé que 14 mineurs expulsés vers le Maroc en août 2021 aient le droit de retourner en Espagne.

 

Le gouvernement espagnol envisage de modifier la loi sur l’asile pour en accélérer les procédures aux postes frontières de Sebta et Melilla.

 

Pour la première fois en 2022, un nouveau record de quatre jours consécutifs sans arrivée aux îles Canaries a été enregistré entre le 14 et le 17 février. Ce n’était cependant qu’une brève accalmie pendant une forte période de sauvetage : plus de 470 personnes sont arrivées sur les côtes canariennes au cours des deux dernières semaines. Le 11 février, Salvamento Marítimo (SM, le service de sauvetage du gouvernement espagnol) a secouru un total de 290 personnes à bord de six petites embarcations. Pendant les jours suivants, des missions de sauvetage ont secouru 56 personnes, puis 40, puis 31.

 

Quarante des 58 personnes secourues d’une petite embarcation, le 18 février, ont nécessité une assistance médicale pour des brûlures mineures. Le 21 février, un groupe de 40 personnes a été secouru au large du sud du Maroc par les autorités marocaines. Après 9 jours perdues en mer, deux personnes sont décédées à bord et au moins 8 autres ont dû être transférées à l’hôpital.

 

Un autre bateau a coulé, le mercredi 23 février, près des côtes sahariennes. Trois personnes se sont noyées et 47 autres ont été secourues par les autorités marocaines. Une opération de recherche a été lancée dans la zone pour tenter de retrouver d’éventuels survivants.

 

Les îles Canaries reçoivent actuellement près de 75 % des entrées de migrants irréguliers en Espagne, avec 4.753 arrivées sur un total de 6.347, au 13 février. Les débarquements aux Canaries ont augmenté de 125% cette année par rapport à la même période de 2021, et quadruplé par rapport à celui de 2020. De plus, des tendances sans précédent ont été observées en ce qui concerne le départ des bateaux arrivant du sud du Maroc.

 

+ La nécessité de travailler en étroite collaboration +

 

Indépendamment des difficultés à contrôler le vaste territoire saharien, une source sécuritaire espagnole a assuré que « personne ne pourrait quitter le Maroc si les autorités marocaines le voudraient ». Le 21 février, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, a rencontré le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, au sujet de la « nécessité de travailler en étroite collaboration avec les pays partenaires d’origine et de transit ».

 

Cependant, contrairement à d’autres pays comme le Sénégal, la Mauritanie et la Gambie, les autorités marocaines n’autorisent pas la présence des agents espagnols sur leur territoire pour collaborer avec les forces de sécurité locales contre l’immigration irrégulière. Avec peu ou pas de marge de manœuvre dans le pays d’origine, l’Espagne est totalement dépendante de la volonté de coopération du Maroc.

 

Après « une conversation » entre le chef du gouvernement espagnol Sanchez et le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita lors du sommet UE-UA, le premier a souligné la nécessité de « faire avancer la relation stratégique » entre les deux pays.

 

+ « La gestion des migrations » +

 

Le Maroc est devenu un maillon important dans les efforts européens d’externalisation de « la gestion des migrations ». A ce titre, le Maroc bénéficie depuis longtemps du soutien financier de l’UE et conserve toujours une position privilégiée dans le cadre de l’accord de partenariat pour la mobilité de 2013 : depuis 2014, l’UE a accordé au Maroc un milliard d’euros pour soutenir sa stratégie nationale sur la migration et l’asile (NSIA).

 

Malgré l’argent investi, seuls 1.400 migrants ont reçu une protection, une assistance avant le départ et une aide à la réintégration.

 

En outre, le rapport du Global Detention Project de juillet 2021 a accusé les autorités marocaines, entre autres, d’utiliser les postes de police et les installations ad hoc pour la détention des migrants dans de mauvaises conditions, de détenir des enfants vulnérables et des réfugiés et de se livrer à des expulsions sommaires.

 

+ « La coopération dans la prévention de la migration illégale des mineurs non accompagnés » +

 

Le 17 février, un juge d’instruction de Sebta a ordonné le retour en Espagne d’un groupe de 14 mineurs qui étaient expulsés de Ceuta en août 2021. Les migrants mineurs faisaient partie de près de 2.000 enfants et adolescents qui sont entrés dans la ville autonome à la mi-mai 2021.

 

L’expulsion, menée par la délégation gouvernementale mais parrainée par le ministère de l’Intérieur, a violé « toutes les procédures légales », « porté atteinte au droit fondamental » à l’intégrité physique et morale des mineurs et mis en « danger » les expulsés, selon le juge.

 

Dans les deux jugements, qui sont susceptibles d’appel, le juge a confirmé qu’aucune des garanties nécessaires n’avait été respectée lors de l’expulsion. « Il n’y a pas eu d’ouverture de procédure, pas de demande de rapport, pas de phase de plaidoirie, pas d’audience, pas de phase de preuve, pas même une décision de rapatriement des mineurs », précise le jugement.

 

Cela remet en cause l’argument rebattu par le ministère de l’Intérieur et du gouvernement de Sebta, qui ont affirmé que les expulsions étaient couvertes par l’accord de 2007 entre l’Espagne et le Maroc sur « la coopération dans la prévention de la migration illégale des mineurs non accompagnés ». Le juge a rappelé que l’accord stipule « le strict respect de la législation espagnole » concernant la procédure du retour des mineurs non accompagnés dans leur pays d’origine.

 

+ Une révision juridique +

 

Le gouvernement espagnol envisage de modifier la loi sur l’asile afin que toutes les demandes d’asile enregistrées à Sebta et Melilla soient traitées dans un délai maximum de dix jours. L’objectif de cette révision juridique est de renvoyer rapidement toutes les personnes auxquelles la protection a été refusée et de permettre l’identification et l’accueil rapides des demandeurs d’asile qui remplissent les conditions.

 

Cela se ferait en appliquant la règle de « la procédure aux frontières » déjà utilisée dans les aéroports sur tout le territoire des villes autonomes. Celle-ci oblige les autorités à admettre ou à rejeter les demandes de protection dans un délai de quatre jours, prolongeable jusqu’à un maximum de dix jours.

 

Pendant ce temps, les demandeurs sont maintenus en détention. Si la demande est acceptée, le demandeur pourra se déplacer librement sur tout le territoire espagnol en attendant la décision finale. Si la demande est rejetée, la loi prévoit son retour immédiat dans le pays d’origine ou de transit.

 

*Article publié en anglais le 25 février 2022 par ECRE (European Council on Refugees and Exiles)

 

 

Source : https://article19.ma/accueil/archives/151393

image_pdf
Tags : Frontières Interception maritime/Disparition en mer Maroc-Espagne